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Le blog de Jean-Marie Renoir
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1 décembre 2008

Chez la grand'mère du Fied( 1930-32)

Nous nous trouvons tous réunis pour quelques jours de vacances, au " Coin du dessus". Pourquoi tous? Chez cette grand'mère très nerveuse, vite agacée par un changement dans ses habitudes de vieille femme solitaire? La Lucie, l'autre grand'mère de nos cousins est-elle absente du " coin du bas"? Je ne le saurai jamais... Donc, nous sommes tous là, les deux familles, ma tante Hortense, soeur de maman, l'oncle Henri, si beau que je rêve de me marier avec lui quand je serai grande, notre cousine Madeleine mon aînée de 3 ans, et les deux bébés. Ces deux jumelles ne se ressemblent pas, sauf pour crier ensemble quand elles ont très faim. Serrées dans leurs maillots, couchées en tête-bêche dans leur grande corbeille à lessive, elles nous cassent les oreilles en attendant leurs biberons. Moi qui n'ai à la maison qu'une grande soeur de 5 ans et demi plus âgée que moi, - et qui est cul et chemise avec Madeleine, à ce que dit la grand'mère- je trouve cela à la fois très mignon, très encombrant et très fatiguant. Aussi, je vais faire un tour dans la grange. Le parfum du foin sec me chatouille les narines, et me remplit d'aise. Le sol de terre battue, les murs rugueux et gris, les grosses poutres garnies ça et là de toiles d'araignées et de brins de foin frémissants, la haute charpente pointue au dessus de ma tête, avec sa lucarne pâle et trouble au faîte du toit. Tout cela, je le retrouve chaque fois avec bonheur. Les yeux fermés, je suis sûre d'être au Fied. Dans l'écurie ( en Franche-Comté, on ne dit pas " étable") les vaches ont laissé leurs traces fumantes et acides. Il faut faire attention de ne pas marcher dedans. Frrrt, le chat s'est faufilé par la chatière percée dans le bas de la porte. Quelques poules se baladent en picorant par-ci, par-là. Elles ne sont pas dégoûtées, à gratter, regarder, hésiter, puis à planter dans ce fouilli leur bec dur. Par l'autre porte , ouverte sur la cour, elles viennent en se dandinant vers le bord du grillage du poulailler. Hop! un brin d'herbe, hop, une mouche. Deux grosses poules brunes se battent pour une magnifique émeraude qu'elles ont repérée entre deux cailloux. Pauvre scarabée, le voilà en morceaux. Pas de jalouses, pour une fois chacune aura sa part. Quel festin de reines...Voilà que j'entends des bruits de pas venant de derrière la maison. Des pas de cheval. Oui, au détour du chemin, je vois apparaitre deux magnifiques chevaux de couleur châtaigne, montés par deux gendarmes, fiers dans leur uniforme sombre garni d'argent. Les montures secouent plusieurs fois leurs belles têtes fines, comme pour saluer le village. Impressionnée, et un tantinet peureuse, je reste avec prudence derrière le grillage du poulailler.Les cavaliers saluent le vieux père Lacope, assis en face sur une ancienne borne de pierre.. Puis ils continuent leur tournée. Quelle émotion! Deux chevaux, avec deux gendarmes! Quel évènement pour une petite fille émotive et curieuse à la fois. Chez nous, en ville, les gendarmes font leurs tournées à bicyclettes, c'est plus moderne...mais beaucoup moins joli!

Plus tard...

Il est onze heures, je rentre de l'école avec maman. Dans la boîte aux lettres, elle trouve le courrier. Tiens, une enveloppe de la grand'mère! Je reconnais son écriture hésitante, tremblée, avec des lettres trop grandes et désordonnées.

" Elle est sûrement malade" dit maman. En effet,nous apprenons que la grand'mère du Fied nous demande d'aller la voir le plus vite possible. Elle a des vomissements et ne peut rien avaler. Maman a un petit geste nerveux. Bien sûr, une fois de plus, grand'mère a dû retourner son jardin et se détraquer l'estomac. Depuis mon plus jeune âge, j'entends parler , dans la famille, des ulcères de ma grand'mère.

Le dimanche suivant, nous partons au Fied avec la B14 Citroën. Je suis fière de notre voiture, de sa couleur beige avec des liserés noirs. Toujours bien entretenue, les vitres brillantes, les chromes luisants, l'intérieur doublé de lainage beige à tous petits dessins géométriques. La banquette arrière où nous nous installons, ma soeur et moi, est très confortable, et je m'endors souvent.Si le soleil nous gêne, nous pouvons tirer de jolis rideaux de soie crème, et nous nous sentons chez nous.

Nous quittons Salins, puis Marnoz où les jardins sont fleuris. Puis Poligny et sa rue bordée de belles maisons anciennes. A la sortie, il faut monter la côte pour arriver sur le plateau, d'où l'on domine toute la plaine qui s'étend jusqu'à la Bresse. Le moteur chauffe, la route est poudreuse, les arbres qui la bordent sont blanchis. Puis, après Plasne, nous longeons les prés, les bois,les pâturages avec les belles vaches rouges et blanches que j'aime tant. Enfin nous voyons de loin la statue du Sacré Coeur, qui domine le " dessus des puits". Mon coeur bat, nous nous approchons de ce cher village qui n'est pas coquet et toujours souillé de bouses de vaches, mais qui chaque fois fait chanter un petit air dans ma tête.

La maison de la grand'mère se trouve à un coude de la rue. Sur le côté, la fenêtre de la chambre a les volets clos. C'est mauvais signe. La grand'mère n'a pas pu se lever. La voiture s'arrête. Nous descendons . Nous avons mis nos robes d'été, nos socquettes blanches et nos souliers vernis. " Arrangez-vous pour ne pas vous salir, a dit maman. Avec toute cette chougne...". Dans la grande cuisine dallée de pierre, il fait presque froid. Sur la table, des bols, des miettes, un peu de beurre sur une assiette, et un pot à lait. Personne. Au fond, la porte de la chambre est grande ouverte. Il fait sombre. J'aperçois la grand'mère dans son lit. Elle est très pâle, maigre, décoiffée, et porte une camisole bordée de plumetis sous un grand châle de laine noire. Une drôle d'odeur me frappe. La maladie, sans doute...Nous l'embrassons.

Elle nous demande de nous assoir et se met à raconter ses ennuis. Maman fait le café, papa se cale à demi assis sur la crosse de sa canne, et écoute en clignant d'un oeil. Je m'ennuie un peu ici, il fait trop sombre. Je finis par retrouver du regard tous les objets familiers de cette chambre. Le gros édredon rouge du lit, le crucifix noir à la tête du lit, l'étagère avec ses vierges de Lourdes plus ou moins casées, mais pieusement conservées, et garnies de fleurs en papier et de bougies de travers.

Ah, la grande horloge comtoise, bien calée entre la porte et le grand placard. C'est un personnage, cette horloge, avec sa caisse peinte, garnie d'un médaillon à la base, représentant une petite fille en robe bleue, et portant un bouquet de fleurs des champs. J'admire aussi le cadran et le lourd balancier de laiton doré, aux moulures compliquées, torsadées et fleuries. Quelle merveille! Quels souvenirs elle représente, elle qui continue à compter les heures inlassablement depuis tant d'années...

                                La_B14_en_1930

                                     La fameuse B14 Citroën, sur la route du Fied ( 39 )

                                                                           

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